Traiter par l’hypnose l’éreutophobie, cette peur de
rougir, et par-là,
le
rougissement lui-même*
(article de recherche universitaire ⓒ 2021 Jean-Luc Tourenne)
Dans son ouvrage
le « Moi-peau » Didier Anzieu, tout comme Freud auparavant,
théorise la peau comme « la limite physique du monde psychique »
(Anzieu, 1985). Il formalise ainsi
l’idée de l’expression physiologique des émotions. A la suite de cette lecture,
une partie de la dermatologie française orienta mieux les patients vers des
pratiques non médicales. Ainsi, la psychothérapie entra dans le champ des
maladies de peau et parmi elles : l’éreutophobie. Les causes de
l’éreutophobie, cette peur obsédante de rougir, ne seraient donc pas uniquement
d’ordre physiologique. Ce trouble anxieux qu’est l’angoisse de rougir et sa
fréquente conséquence qu’est le rougissement du visage lui-même, sont des
souffrances psychiques durables vécues par les éreutophobes comme un handicap.
Les conséquences sociales de l’éreutophobie sont nombreuses : manque de
confiance en soi, peur du regard des autres, auto-sabotage personnel ou
professionnel et mènent souvent à des conduites d’évitement ou d’exclusion
sociale. Selon certains auteurs, elle concernerait une population importante,
puisqu’elle toucherait plus de 2% de la population générale. (Amies et
Ginsburg, 2012).
Les réponses de la
médecine conventionnelle sur l’éreutophobie sont toutefois considérées comme
ponctuelles et non pérennes car essentiellement basées sur les bétabloquants ou
les anxiolytiques. La solution chirurgicale de la sympathectomie est une
possibilité controversée qui n’a pas fait ses preuves (HAS, 2007), non validée
par la Haute Autorité de Santé et tend à disparaitre. A l’inverse, depuis Milton
Erickson, les psychothérapies et notamment les thérapies cognitives, et
essentiellement l’hypnothérapie, semblent proposer des solutions intéressantes
sur l’éreutophobie ou d’autres symptômes liés à l’anxiété. Il apparait donc que
les thérapies non allopathiques et non conventionnelles, comme les thérapies
cognitives et l’hypnose, peuvent potentiellement solutionner ce type de
problématiques liées aux troubles anxieux.
L’éreutophobie : un trouble
anxieux particulier
L’éreutophobie se
caractérise par une peur obsessionnelle de rougir en public. Elle s’accompagne
presque systématiquement d’un épisode de rougissement du visage lors d’une
prise de parole en public, quel que soit le nombre d’auditeurs et quel que soit
le contexte, privé, social, bien que le plus souvent dans le domaine
professionnel.
Déjà Claparède
(1902), élève de Janet, et plus récemment de nombreux chercheurs comme
Pelissolo et Remillieux (2012) définissent l’éreutophobie comme un trouble anxieux,
une forme clinique de l’anxiété qui partage avec elle nombre de ses
caractéristiques de souffrances et symptomatiques. Selon eux, ce trouble n’est
ni un symptôme, ni un sous-type de l’anxiété sociale, mais il évolue dans sa
sphère. Ils vont ainsi dans le sens du DSM-V américain (Manuel Diagnostique et
Statistiques des troubles psychiques). La peur de rougir et le rougissement
sont perçus comme la conséquence d’un manque de confiance en soi et d’une
menace dans la sphère sociale ou professionnelle, ainsi pour Stein et Bouwer
(1997) : « Il y a souvent une vision exagérée du statut inférieur de
soi et du statut élevé des autres, et une surestimation de la menace sociale
éventuelle. ». Les conséquences psychologiques vécues par l’éreutophobe
sont aussi nombreuses que communes à l’anxiété sociale ou d’autres formes de
troubles anxieux spécifiques : manque pathologique de confiance en soi,
exclusion sociale, sabotage professionnel, angoisses, dépression, toxicomanie
ou alcoolisme pour se sentir plus à l’aise, suicide etc… Dans le cadre de son
travail sur l’éreutophobie le Dr. Valla (2015) fait état de 45% de dépressions
majeures et de 15% de passages à l’acte suicidaire.
Bref historique de l’hypnose
en psychothérapie
Bien que pratiquée de plus en plus régulièrement
en médecine conventionnelle, comme en hypnoanalgésie (prise en charge de la
douleur) ou hypnosédation (anesthésie), nous nous intéressons dans cet article à
l’hypnose dans le cadre de la psychothérapie (hypnothérapie). L’hypnose chemine
de longue date en parallèle avec la psychanalyse et la psychologie, car Charcot
et Freud ont été parmi les premiers à l’initier en médecine moderne. Le
psychiatre nord-américain Milton Erickson est considéré comme le fondateur de
l’hypnose clinique ou de l’hypnothérapie, en postulant que, dans une thérapie
mettant en jeu un thérapeute et un patient, ce dernier peut mobiliser des
ressources internes pour amener conscient et inconscient à travailler de
concert et provoquer les changements souhaités.
Hypnose : définition et protocole
La définition de l’hypnose est un état
modifié de conscience où la vigilance de la personne se trouve altérée, sans
que ce soit un état de sommeil. Dans cet état particulier où certaines zones du
cerveau sont mobilisées inconsciemment par le sujet, celui-ci se voit
présenter : « … une communication, avec une compréhension et
des idées, pour lui permettre d’utiliser cette compréhension et ces idées à
l’intérieur de son propre répertoire d’apprentissages » (Erickson, 1980).
Le protocole d’une séance d’hypnose peut se
résumer ainsi : mise en « transe » (état particulier de profonde relaxation) du
sujet par l’hypnothérapeute, suggestions et/ou visualisations et/ou dialogue,
réveil post-hypnotique. Mais, mieux que décrire le menu détail d’une séance
d’hypnothérapie, on comprend mieux ce qui se joue lors d’une séance dans les mots
de Bioy (2005) : « L’élaboration demandée au patient n’est pas une
élaboration intellectuelle, mais à partir de percepts corporels, avec en
soubassements les liens entre psyché et soma. Si les perceptions du corps
changent, évoluent, c’est aussi que consécutivement un travail psychique
s’effectue… ».
Les neurosciences et
l’hypnose
Depuis près de 30 ans grâce au développement de l’imagerie
médicale, les neurosciences s’intéressent à l’hypnothérapie en évaluant le rôle
de certaines zones du cerveau dans la pratique de l’hypnose et son efficacité.
Spiegel et Hoeft (2012) de l’université de Stanford démontrent que chez les
sujets fortement suggestibles et hypnotisables, « le cortex cingulaire
antérieur dorsal et le cortex préfrontal dorsolatéral (DLPFC) fonctionnent en
parallèle pour mobiliser simultanément l’attention, la concentration et le
contrôle exécutif » (Hoeft et al, 2012). En découlerait, selon ces études,
que l’hypnose augmenterait les connexions entre le DLPFC et l’insula, en
facilitant, par exemple, lors de divers types de pensées dans un environnement
donné, des réactions émotionnelles et physiologiques liées. L’hypnose serait
donc potentiellement, sur la foi de ces premiers constats, une réponse
efficace, totale ou partielle, à l’éreutophobie.
Quelques
articles scientifiques commentés, pour aller plus loin…
Kirsch, I. Montgomery, G. Sapirstein,
G. (1995) Hypnosis as an adjunct to cognitive-behavioral psychotherapy: a
meta-analysis. J. Consult.
Clin. Psychol, 1995, Vol.63, (2), p.214-220
Cette méta-analyse
de 18 études démontre que 70% des personnes ayant bénéficié d’une double thérapie par TCC et hypnose ont vu le traitement de leur
problématique amélioré par rapport au
groupe n’ayant bénéficié que de séances de TCC. Cela confirme que l’hypnose potentialise fortement
certaines psychothérapies. Aussi dans quelle mesure l’hypnose comme thérapie seule
serait-elle efficace sur certains troubles ou symptômes observables
physiquement ?
Stetter, F. Walter.
et al. (1994). Ambulatory short-term
therapy of anxiety patients with autogenic training and hypnosis. Results of
treatment and 3 months follow-up. Psychother Psychosom Med Psychol, 1994,
Vol.44, (7), p.226-34.
Est mis en
évidence ici l’efficacité directe de l’hypnose sur l’anxiété. Ainsi en
parallèle de l’étude du traitement par le Training Autogène de Schultz,
considéré comme proche du traitement par l’hypnose, l’étude sur les sujets
traités par la méthode de l’hypnothérapie conclue de l’effet positif de l’hypnose
sur le trouble anxieux des 27 patients ayant participés et que « les
mesures psychométriques, le niveau d'anxiété (STAI. Laux et al. 1981) et le vécu subjectif, les plaintes dues à l'anxiété ont été considérablement réduites dans les deux
traitements de manière significative ». Après trois mois les résultats ont montré une réduction de l’anxiété à un
niveau stable ou que cette réduction est devenue plus importante. La fréquence des crises avait
elle-même décrue.
Provencal, S. Bond, S. Rizkallah, E. El-Baalbanki,
G. (2018). Hypnosis for burn wound care pain and anxiety : A
systematic review and meta-analysis. Burns, 2018, Vol.44, (8), p.1870-1881.
DOI: 10.1016/j.burns.2018.04.017
Cette
méta-analyse en dermatologie porte sur les souffrances de brulés graves et leur
état d’anxiété. Elle met en évidence l’efficacité significative de l’hypnose
dans les soins. Les chiffres sont encourageants pour qui étudie l’hypnose dans
sa relation à la souffrance dermatologique et l’anxiété engendrée car
ils révèlent d’importantes réductions avec des groupes de contrôle qui sont en moyenne
de 8.90% sur des échelles de souffrance et de 21.78% sur des
échelles d’anxiété.
Bibliographie
Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau.
Dunod.
Amies, P.
et Gelder, M. (1983). Social
phobia : a comparative clinical study. Br.J Psychiatry, 1983,
Vol.9, p.142-174. DOI
10.1192/bjp.142.2.174.
Bioy, A.
(2005). Hypnose, psychothérapies et psychologie clinique. Perspectives Psy,
2005, Vol.44, p.346-354
Claparède, E. (1902). L’obsession
de la rougeur. A propos d’un cas d’éreutophobie. Archive de psychologie de
la Suisse Romande, 1902, p.307-334
Erickson, M. Rossi, E. (1980). L'intégrale des articles
de Milton H. Erickson : De la nature de l'hypnose et de la suggestion,
Irvington.
Ginsburg, G. Riddle, M. et Davis,
M. (2007). Somatic symptoms in children and adolescents with
anxiety disorders. Brown
University Child & Adolescent Behavior Letter, 2007, Vol.23, p.3-4.
Hoef, F. Gabrieli, J. Whithfield-Gabrieli,
S. et al. (2012). Functional Brain Basis of Hypnotizability. Arch
Gen Psychiatry, 2012, (10), p.1064-1072. DOI: 10.1001/archgenpsychiatry.2011.2190
Kirsch, I. Montgomery, G. Sapirstein,
G. (1995) Hypnosis as an adjunct to cognitive-behavioral psychotherapy: a
meta-analysis. J. Consult.
Clin. Psychol, 1995,
Vol.63, (2), p.214-220.
Pelissolo,
A. Lobjoie, C. (2012). Résultats d’une thérapie comportementale et cognitive de
groupe spécifique de l’éreutophobie. L’Encéphale, 2012, (38), p.345-350.
DOI :
10.1016/j.encep.2012.01.011
Provencal, S. Bond, S. Rizkallah, E.
El-Baalbanki, G. (2018). Hypnosis for burn wound care pain and anxiety : A
systematic review and meta-analysis. Burns, 2018, Vol.44, (8), p.1870-1881. DOI: 10.1016/j.burns.2018.04.017
Spiegel,
H. Spiegel, D. (2004). Trance and Treatment : Clinical Uses of Hypnosis. American
Psychiatric Publishing.
Stein, D. et Bouwer, C.
(1997). Blushing and social phobia neuroethological speculation. Medical
hypotheses, 1997, Vol.49, (1), p.101-108. https://doi.org/10.1016/S0306-9877(97)90260-7
Stetter, F. Walter. Et al. (1994). Ambulatory short-term ther- apy of anxiety patients with
autogenic training and hypnosis. Results of treatment and 3 months follow-up. Psychother
Psychosom Med Psychol, 1994, Vol.44, (7), p.226-34.
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